J’étais à Siem Reap quand la veille, j’avais perdu ma bourse fétiche dégotée en Inde remplie de dollars et de ma bague achetée sur un marché à Trinidad à Cuba dans un mariage cambodgien qui s’était terminé en larmes et dans le sang. On m’avait fait évacuer de la fête avec la sœur du marié.
J’étais déjà un peu sonnée par ces noces surréalistes de la veille en m’étant retrouvée en fuite à traverser l’arrière-pays désertée par les touristes (et pour cause il n’ y avait rien à voir) parmi des enfants nus au bord de la route avec une femme habillée en robe de mariée occidentale – et qui n’était pas la mariée – avec une contrefaçon de sac Chanel sur le guidon du motobike et moi en amazone derrière elle.
○ Kampot ○
Je m’étais levée tôt pour me rendre à Kep en passant par Kampot.
Une longue journée de transport m’attendait : après un vol matinal et deux bus pour traverser une partie du pays, je devais descendre de mon mini-bus à Kampot pour en reprendre un troisième direction Kep. À l’arrière, je ne trouvais plus mon sac à dos parmi les bagages entassés. J’eus une petite montée d’adrénaline mais je me rassurais illico en pensant “Ce n’est pas possible, je vais le retrouver“. Eh bien non. Mon sac à dos était nulle part et avait bel et bien disparu…
Heureusement, j’avais mes papiers sur moi.
J’alertai les employés du bus qui appelèrent la station de départ pour savoir si ils l’avaient bien chargé dans le bus. Il ne restait aucun sac mais
les cambodgiens me dirent qu’ils feraient leur possible pour le retrouver. Leurs paroles me détendirent un peu. Surtout que l’un deux se démena pour appeler plusieurs numéros et me demanda ce qu’il y avait d’important.
– “Mes médocs pour l’asthme et mes maillots de bain...”
Ça peut vous paraître futile mais ça ne l’état point pour moi. D’une part parce que je galère à trouver des maillots de bain qui me siéent et d’autre part, j’allais passer mes 14 derniers jours à la mer… et ce type d’article n’était pas en vente. On n’est pas en Thaïlande. Les cambodgiens se trempent dans l’eau plus qu’ils ne se baignent et habillés. Je ne me voyais pas en sous-vêtement à la plage sous 30° degrés.
Je décrivis mon sac à dos au responsable avant que le bus ne partit pour Hô-Chi-Minh-Ville. D’autres personnes me dirent alors que mon sac n’était plus dans le coffre quand ils étaient arrivés.
Mon prochain mini-bus nous attendait. Et si, j’avais retardé l’heure de départ, je compris que les passagers en avaient marre d’attendre des nouvelles de mon sac. J’ai eu dû mal à me résoudre à quitter la station de bus. Je réalisai que j’avais tout perdu et j’allais finir mon voyage avec les seuls vêtements sales que je portais sur moi.
J’étais assise devant, à côté du chauffeur. Je regardais l’horizon comme si j’étais neurasthénique. Puis mes yeux se perdirent dans le vague. Je me répétais : “Plus rien. Tu n’as plus de fringues, médocs, pansements, culotte, maillots de bain, chargeur, mon guide, toilettes, livre...”. Il ne me restait plus qu’une sacoche. Et puis étrangement, j’ai ressenti une sensation nouvelle. Comme une légèreté : j’étais libre.
Je ne savais pas pourquoi. J’avais perdu toutes les affaires auxquelles j’étais attachées depuis des années et que je porte lors de tous mes voyages. J’étais libre, légère, je n’avais rien. Plus rien à me soucier. Je ne comprenais pas cette sensation paradoxale. Je n’étais pas non plus euphorique ni heureuse d’avoir tout perdu mais j’entrevoyais la suite de mon voyage comme une aventure inédite : comment survivre avec une seule culotte pendant 15 jours ? Une partie de moi trouvait ça drôle. D’être une espèce de SDF de voyageuse. Le cerveau n’est-il pas formidable ? De nous faire voir les choses du bon côté ?
Puis au bout de trente minutes, une sonnerie de téléphone me tira de mes rêveries. Le chauffeur prit l’appel et me sourit. Il fit demi-tour pour revenir à la station. Les voyageurs ont dû bien me maudire mais ils m’ont surtout dit qu’ils étaient contents pour moi : on avait retrouvé mon sac à dos intact !
Une touriste française était revenue à la station de bus s’étant aperçue à l’hôtel de sa méprise. Une fois arrivée, elle me sauta dessus et s’excusa. Elle avait été distraite. Mon sac à dos noir avait une touche de rouge, je ne les aurais jamais confondus.
– Je suis désolée. Ils nous ont tellement pressés et criés dessus pour qu’on descende et aille vite que je n’ai pas fait attention.
Elle accusait en gros les cambodgiens d’être responsables de son manque de vigilance pour se dédouaner. Puis :
– C’est toi qui a mon sac à dos ?
Je la regarda, désolée.
– Non. Je n’allais pas prendre un sac qui ne m’appartenait pas.
– Mais où est-il ? Dans ce bus ? en le désignant du doigt.
– Non. Le tien est parti pour le Vietnam.
– Non ????!!!! C’est une.blague ? T’es sûre de toi ?
– Archi sûre. Ça c’est mon prochain bus qui part à Kep. Notre précédent bus avait pour destination le Vietnam…
Sa copine devint furax. Elle n’arrêtait pas de lui faire des reproches.
Bref, j’ai eu une chance inouïe…
Après dix heures d’attente et de transport, j’arrivai à Kep pile à la tombée du jour dans ce super bungalow en bois avec une superbe vue…
Je ne m’étais jamais sentie aussi bien depuis hier où j’étais en stress permanent.
Ce fut à ce moment que j’entendis du bruit au-dessus de mon bungalow. Je priai pour que ce ne soit pas un serpent car je savais qu’ il y en avait dans la région, le toit de mon bungalow se trouvant en hauteur et touchant la cime des arbres. Je levai délicatement la tête et je me retrouvai nez à nez avec un singe qui s’arrêta net. Je le fixais et là il ouvrit la bouche me montrant bien ses dents pour me faire peur. Ça a marché, je reculai et m’enfermai dans ma cabane.
Trop d’émotions en 48 heures, il était temps que j’aille me coucher…
Moralité : ayez un sac reconnaissable, pas trop commun et surveillez bien vos affaires à chaque descente de passagers lors de ce type de trajets en minibus.
Et surtout, ayez toujours avec soi le plus important : argent, affaires perso préférées, médocs et papiers. (depuis, j’ai toujours un maillot de bain dans mon sac). Et ne pas prendre de vêtements auxquels on tient dans ce type de voyage un peu roots. Tout peut arriver…